Nathalie, pouvez-vous nous raconter l'origine du projet 'Mémoires tissées' et ce qui vous a inspirée à rendre hommage aux récits migratoires féminins et intergénérationnels?
L’idée de Mémoires tissées est née d’un questionnement personnel : en tant que petite-fille d’immigrés, je me suis demandé quelle place nous accordons à la mémoire, aux identités multiples et mouvantes, et à la transmission des récits de celles qui ont façonné, dans l’ombre, nos histoires familiales et collectives.
Face aux défis contemporains – crises migratoires, mondialisation, montée des identités fragmentées – j’ai voulu honorer ces voix souvent oubliées. À travers cet ouvrage, j’ai souhaité mettre en lumière l’héritage immatériel de ces femmes, tout en offrant une réflexion socio-historique et prospective sur la construction d’une société inclusive et durable.
Comment les histoires de nos grands-mères migrantes contribuent-elles à notre compréhension collective de l'identité et du patrimoine culturel?
Elles sont le socle de notre histoire commune. Ces récits permettent de relier l’intime et le collectif, de mieux comprendre comment les migrations ont façonné notre société. En écoutant ces témoignages, nous réalisons que l’identité n’est pas figée mais en perpétuelle évolution, enrichie par les trajectoires de chacun.
Le patrimoine culturel n’est pas seulement matériel, il réside aussi dans les histoires que l'on ne retrouvent pas dans les livres d'histoires et qui sont pourtant déterminantes dans la construction de tout individu : nos aînées, d'ici ou d'ailleurs, participent à l'acte de transmission, notamment via leurs valeurs et leurs savoirs. Raconter leur parcours, c'est participer à une réconciliation avec l’histoire mémorielle et à une reconnaissance de la diversité qui compose la France d’aujourd’hui.
Quels obstacles majeurs rencontrez-vous en partageant et en préservant les récits de femmes migrantes au sein de votre projet éditorial?
L’un des principaux défis est la légitimité des voix portées par les descendants d'immigrés dans l’espace public. Ces femmes, leurs filles et petites-filles ont souvent été invisibilisées, et il peut être difficile de convaincre leur famille que leurs récits ont une valeur historique et sociale.
Un autre obstacle est la transmission elle-même : beaucoup de ces histoires ont été tues par pudeur, douleur ou par volonté de préserver. Il faut alors créer un espace sécurisant et bienveillant pour recueillir leurs paroles. C'est tout le travail de praticienne narrative : extraire les moments apprenants, les trésors scintillants de ces récits.
Enfin, la diffusion d’un tel ouvrage se heurte aux logiques du marché éditorial. Trouver des financements, sensibiliser un large public et intégrer ces récits dans le débat sociétal restent un challenge que nous relevons avec notre ONG W(e)Talk- Women Empowerment Events. Chaque lecture est une petite victoire, un temps de réflexion et d'interrogation intime, un dialogue partagé.
Pouvez-vous expliquer comment 'Mémoires tissées' peut servir d'outil d'émancipation personnelle et collective pour les participantes et le public?
La narration a un pouvoir transformateur. Pour celles et ceux qui témoignent (petits-enfants de 17 à 70 ans), c’est une manière de se réapproprier leur histoire, de valoriser leur parcours et de transmettre un héritage précieux. Cela leur permet aussi de déconstruire des récits de souffrance et de les replacer dans une trajectoire de résilience et de réconnaissance.
Pour le public, c’est un miroir tendu vers leur propre histoire. Il s’agit d’une invitation à questionner l’identité, la mémoire, l'altérité et la place de chacun dans la société. En reconnaissant ces récits, nous contribuons à une émancipation collective où chaque voix compte et participe à l’écriture d’une histoire commune plus inclusive.
Quelle est la signification de la transmission intergénérationnelle dans votre projet, et comment cela nourrit-il les liens interculturels?
La transmission intergénérationnelle est le fil conducteur de Mémoires tissées. Elle permet de relier passé, présent et futur, et d’éviter l’effacement de certaines mémoires.
En recueillant ces témoignages et en les confrontant aux réflexions des nouvelles générations, nous créons des ponts entre différentes cultures et entre différentes espaces-temps. A l'heure où touyt s'accélère, cela me semble précieux. Cela renforce le dialogue et la compréhension mutuelle, contribuant ainsi à une société plus cohésive où chacun peut reconnaître une part de son histoire dans celle de l’autre.
En tant que porteuse d'histoire, quel impact espérez-vous voir sur la cohésion sociale et l'inclusion culturelle à travers cette initiative?
J’espère que cet ouvrage participera à une prise de conscience collective sur l’importance des narratifs dans la construction individuelle et collective. En nommant, en valorisant des femmes extra-ordinaires et leurs histoires à travers les voix de leur descendant.e.s, nous déconstruisons les stéréotypes et nous donnons une place à celles qui ont contribué, souvent dans l’ombre, à bâtir la France d’aujourd’hui.
Si ces récits peuvent aider à développer une culture du respect, de l’écoute et de la reconnaissance mutuelle, alors nous aurons fait un pas vers une société plus solidaire, où l’histoire de chacun est accueillie dans sa singularité.
Comment la campagne de financement participatif a t-elle influencé la réalisation et la portée du projet 'Mémoires tissées'?
A l'heure où les subventions dédiées aux associations diminuent drastiquement, il est essentiel de trouver d'autres leviers pour réaliser des projets innovants. Cela passe par la mobilisation des entreprises (mécénat) et des citoyens. Le financement participatif est un levier essentiel pour concrétiser des projets de manière indépendante et engagée. Dans le cadre de ce livre-hommage, notre campagne a permis de financer le graphisme, les vingt illustrations et l’impression, mais aussi de fédérer une communauté autour de cette initiative.
Chaque contributeur.ice devient un acteur du projet, ce qui renforce son impact et sa portée. Cela démontre aussi qu’il existe une demande sociétale pour ces récits, et cela peut ouvrir la voie à d’autres formes de transmission et de valorisation de la mémoire collective.
En somme, Mémoires tissées n’est pas seulement un livre, c’est un mouvement qui invite chacun à reconnaître et à honorer les voix qui ont contribué à notre histoire commune, en particulier celles des femmes dans leur pluralité. Nous remercions les 250 personnes qui ont d'ores et déjà commandé l'ouvrage et nous ne comptons pas nous arrêter là !